samedi 22 novembre 2008

Nizwa, ou l'immersion en apnée dans un autre monde 1


(Fort de Jabril)

Nous voilà donc réveillés à l'aube, les premiers rayons du soleil réchauffent déjà l'atmosphère.

Nous décidons de démonter les tentes avant d’avoir trop chaud. Puis nous servons le petit-déjeuner, à la grande joie d’Alix, et enchaînons sur la vaisselle, la toilette, et le bouclage des sacs. Nous redescendons la piste, à petite allure, lorsqu’un Indien nous fait signe de nous arrêter. Il a mis sa belle chemise du dimanche (vendredi !), et malgré nos explications, tente de monter à l’arrière. La voiture est bondée. Malgré l’installation d’une gallerie, il y a des sacs partout. Il se glisse difficilement sur la banquette arrière, écrasant Henri, contraint de se détacher pour s’asseoir à moitié sur Charles. Le gars ne comprend rien à nos questions, fait des risettes à tout le monde, tente de se faire oublier, tandis que nous faisons des commentaires désagréables à propos de son culot, en Français, sur un ton enjoué, le grand sourire aux lèvres. 30 minutes plus tard (7 kilomètres), nous le larguons à la station essence de la première vraie « ville » civilisée, avec du vrai bitume. Nous rejoignons Nizwa, pour tenter d’apercevoir le marché aux bestiaux. Nous arrivons à 9h30 sur le parking, et les bétaillères repartent déjà…Je ne comprends pas les horaires.
Christophe tente de rappeler son camarade de stage, Souleiman, qui habite Nizwa avec sa famille. Il est là, à deux pas, et nous attend. On le voit, le salue d’un « Salam Aleikoum » que même Alix commence à maîtriser, et il nous invite à monter dans sa voiture, un énorme 4x4 (V8 de chez Nissan), avec 8 places. Christophe nous suit, et Souleiman nous emmène jusqu’à chez lui. Dans la voiture, nous discutons en anglais. Il a le même niveau que moi…en pire ! Il tapote l’écran tactile de son ordinateur de bord, me fait écouter de la musique arabe, et me montre les photos de ses enfants qui défilent sur le petit écran…c’est beau la technologie…(choc culturel entre hier, au village du bout du Wadi, et aujourd’hui, Souleiman, à la voiture bardée de gadgets inutiles)
Pas de blagues, ce n'est pas sa femme derrière, c'est moi ! (Avec Alix dans les bras !)
Lorsqu’on arrive, il nous présente ses deux garçons, puis son épouse, qu’il autorise exceptionnellement à venir déjeuner avec nous. En principe, chez les musulmans, l’homme reçoit les hommes dans son salon, où tout est prêt lorsque les invités arrivent, et les femmes reçoivent de leur côté. Les bébés sont avec les femmes, et les enfants passent d’un endroit à un autre. Les adolescents sont considérés comme des adultes, et appliquent les règles de séparation.





Nous découvrons la décoration du salon de Souleiman. Il a de l’argent, et tient à le montrer. Des bergères en bois doré sont alignées contre le mur, comme au bal populaire. Le tissu qui les recouvre est chatoyant, brillant, dans les tons beige/marron. Les pompons de passementerie dégoulinent, l’opulence est là ! En face de cette rangée de fauteuils mastocs, un aquarium vide, dont le sous-meuble est recouvert de placage imitation marbre d’un bleu pétrole du meilleur goût. A côté, on trouve un meuble assorti (même « marbre » bleu, destiné à la télévision. Il est surmonté d’un brûleur d’encens dont l’odeur caractéristique et envoûtante est facilement reconnaissable. Le sol est recouvert de grands tapis, épais, toujours dans ces tons de sable (nostalgie du désert pour ces bédouins sédentaires ?) Au mur, un papier peint beigeasse, aux reliefs nacrés, et quelques cadres suspendus. Le clou du spectacle : un tapis dont le dessin n'est autre que le portrait du Sultan Qaboos (prononcer « Kabousse »). Pour finir la description des lieux, j’ajouterai juste que la partie salle à manger est dépouillée : quelques coussins recouvrent le bas des murs, et une nappe ronde est posée par terre.


Majlis typique ( fort de Jabril)


Les enfants viennent nous saluer. Deux filles de 14 et 13 ans, voilées, deux garçons de 10 et 8 ans (Mohamed, et Ibrahim, dit « le diable ») une fillette de 4 ans, Amahyma, et un bébé de 10 mois, Youssouf. Je suis étonnée par le nombre des enfants. Il me dit que les Omanais ont en moyenne entre 6 et 8 enfants. Alors que je pensais qu’ils n’en n’avaient pas ! On ne voit jamais les familles au complet, sauf certains soirs, dans les grands centres commerciaux. Il est tout de même probable que dans la capitale, les familles soient moins nombreuses. Notre propriétaire et voisin, qui aime passer ses vacances à Paris ou à l’île Maurice n’a que deux fils, et sa femme dirige son salon de beauté. L’émancipation est bien là !

Chez Souleiman, il est maintenant 10h30, et nous commençons par quelques rafraîchissements .Les enfants ont été avalés par l’immense maison de marbre et de stuc. Ils reviennent périodiquement, pour demander un verre d’eau ou un morceau de viande. Parce que nous passons à table...par terre ! Nous mangeons des brochettes de bœuf grillées et épicées, du bœuf séché, et de la viande de bœuf en sauce que Madame nous sert, dans des galettes très fines (comme des crêpes) et qu’elle noie sous du miel de dattes. Nous enchaînons sur les desserts, et nous avons la grande chance de goûter le Alwa, spécialité du pays, infecte en supermarché, mais très acceptable chez des locaux !
C’est gras, sucré, à base de dattes, de sucre, de noix de cajou, et de miel. C’est un compromis entre le caramel mou, et le nougat. Le café servi avec n’est pas sucré, c’est une chance ! En revanche, il est parfumé à l’eau de rose. Etrange, et plutôt sympa ! Bien sur, on ne refuse rien, si bien qu’on sort de là avec le ventre à terre (et la ferme résolution de se remettre au sport, à défaut de ne pouvoir refuser toute invitation Omanaise : ce serait une offense, à moins d’avoir une excellente raison, qui repousse alors l’invitation à plus tard !)
Melon jaune, pastèque, et dattes nous sont encore proposés…avec du Pepsi ou du Seven’up…







Les enfants sont libres de faire tout ce qu’ils veulent, les parents n’interviennent que lorsque l’un d’entre eux se met en danger. C’est la loi du plus fort. Lorsque Mohamed, l’aîné des garçons veut quelque chose, les autres le lui donnent, surtout quand il s’adresse à ses sœurs, pourtant plus âgées. Mais les enfants rendent assez volontiers service, ils vont chercher une couverture pour Jean, qui a fini par s’endormir dans mes bras après avoir hurlé dans les bras de la bonne Indienne, ils s’exécutent pour porter les plats vides à la cuisine…La maman n’est pas toujours debout.
Le repas fini, on se lève, et nous partons avec Souleiman et 4 de ses enfants pour visiter un fort très connu, en fin de restauration: Jabril. Nous laissons la Maman, son bébé Youssouf, et la fille aînée. Nous sommes donc 3 adultes, 7 enfants et 1 bébé. Souleiman pense que ce serait plus simple de ne prendre qu’une voiture…Je me retrouve donc à l’arrière avec Jean sur les genoux, Alix et les deux filles à mes côtés, les 4 garçons sont sur la banquette arrière, et le jeu vidéo de circuit de formule 1 est semblable à la réalité…Nous roulons sur une autoroute en construction, un seul côté est ouvert, on est donc à double sens, les accotements ne sont pas réalisés, et Souleiman roule à l’Omanaise…De son volant, il commande l’accélération, ou le ralentissement, le freinage seul se fait au pied (c’est une voiture automatique). Je tremble en regardant le compteur…150. Le compteur est stable, Souleiman l’a bloqué, il se consacre entièrement à son interlocuteur, lançant parfois une œillade à la route.


Christophe peine parfois à trouver ses mots, Souleiman le regarde poliment, attendant patiemment la fin de la phrase pour regarder sa route. Je maudis Christophe et cette fichue langue…à quoi bon avoir passé chaque jour des heures à bûcher pendant trois longues années, si c’est pour se retrouver au fossé ?
Nous arrivons au fort de Jabril, soulagement !




Quoi que…la restauration du fort est presque achevée, certains fils électriques sont encore apparents, et les fenêtres ne comportent pas vraiment de garde-fou. Les garçons courent partout, Alix veut être portée, on perd Henri, Charles a soif, Ibrahim court en tous sens, et Mohamed persécute son frère. Amahyma reste très timide, et accepte de me donner la main lors de la descente d’un escalier abrupt. Car on visite les pièces au pas de course. Le fort est certes beau, mais Souleiman semble pressé. On remonte dans notre "car touristique", fauteuils en cuir, réfrigérateur intégré, et jeux vidéo à la demande. On ne prend pas la même route pour le retour. Mais Souleiman continue à rouler très vite…Il s’arrête dans une station service pour acheter de l’eau, des jus de fruits et des chips. Il refuse l’argent de Christophe : « tu es mon invité pour la journée ! »…En planifiant notre week-end, nous avions prévu de visiter une ville dont le fort a été classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Ca tombe bien, Souleiman nous y emmène. Et nous « visitons » sans sortir de la voiture. Les enfants ne lèvent pas les yeux de leurs jeux vidéo, Christophe prend la photo en ouvrant la fenêtre (« vite, referme, ça fait entrer l’air chaud ! ») et nous repartons aussi vite.

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